
Au Cameroun, Bénédicte Tueam a grandi dans une famille où les remèdes maison, les boissons artisanales et la transformation des fruits saisonniers étaient à l’honneur. Des recettes traditionnelles qu’elle cherche à perpétuer avec son entreprise, Les jus naturels Ben’s, lancée en 2022. Encore aujourd’hui, cela lui permet de garder l’équilibre entre ses racines africaines et sa vie au Québec.

Manguiers, avocatiers, corossoliers. Bénédicte Tueam se souvient de son enfance, à grimper dans les arbres fruitiers poussant derrière chez elle. Dans la cuisine familiale, elle apprend avec sa mère à transformer cette abondante récolte en différentes boissons, complètement naturelles.
« Ma grand-mère m’a quant à elle montré à préparer des jus à base d’hibiscus, de gingembre ou d’autres plantes pour nous soigner », se rappelle-t-elle.
Des recettes ancestrales que la chimiste de formation apporte dans ses bagages, alors qu’elle a quitté le Cameroun en 2010 pour s’installer au Québec et rejoindre son frère et sa famille. Rapidement, Bénédicte Tueam part à la recherche des ingrédients de leur enfance – gingembre, fruit de la passion, curcuma, mangue ou fleur d’hibiscus – pour reproduire les jus qu’elle buvait dans son enfance et qui n’avaient pas d’équivalent ici.
« La transformation alimentaire m’a toujours intéressée. Au Cameroun, je travaillais dans ce domaine comme chimiste responsable du contrôle de la qualité », raconte-t-elle. Néanmoins, en arrivant au Québec, c’est plutôt vers le tutorat puis, après une maîtrise qualifiante, dans l’enseignement des sciences et des technologies au secondaire qu’elle décide de se diriger.
« Peu de temps après mon installation, un de nos amis vivant en Europe était passé nous voir au Québec. Je lui avais servi l’un de mes jus et sa réaction avait été instantanée. Il m’a tout de suite suggéré de lancer mon entreprise, mais je n’étais pas prête. Je voulais un emploi stable. »
Même si elle enseigne, Bénédicte Tueam continue tout de même d’enfiler son tablier, en apportant ses produits maison lors d’événements réunissant des Camerounais. « Sur la table des boissons à partager, a-t-elle observé, mes produits partaient toujours en premier! » À force de recevoir des demandes de compatriotes prêts à acheter une partie de sa production, elle se laisse convaincre de tenter sa chance et décide, en 2022, de lancer Les jus naturels Ben’s.
Bénédicte Tueam commence par tester ses recettes dans des marchés, festivals et autres événements, tout en suivant des formations en création d’entreprise, d’abord à CHAFRIC (Chantier d’Afrique Canada), puis à Agro-Alliance, un incubateur d’entreprises pour les personnes immigrantes et à l’école des entrepreneurs du Québec. Aujourd’hui, ses produits sont disponibles dans une vingtaine de commerces situés dans la grande région de Montréal.
Au-delà des ventes, l’entrepreneure s’est donné une mission : agir comme ambassadrice culturelle en partageant le goût du Cameroun. « Quand un pays nous accueille, c’est qu’il croit qu’on a quelque chose à y apporter. C’est donc ma façon de contribuer en tant qu’immigrante au Québec. Je propose non seulement de découvrir de nouvelles saveurs, mais aussi des produits bénéfiques pour la santé. » En effet, gorgés d’antioxydants et de vitamines, ses jus maison abondent en bienfaits, fait-elle valoir.
L’art de concilier travail et passion
Faire rouler une entreprise tout en occupant un autre emploi n’est pas de tout repos. Quand la cloche sonne la fin des classes, la journée de Bénédicte Tueam est loin d’être terminée. Plusieurs soirs par semaine, sa cuisine se transforme en atelier de production. Préparation, filtrage, étiquetage, tout est fait tout à la main. Et chaque samedi, elle se rend en personne dans différents événements ou marchés publics pour faire découvrir ses produits à base d’ingrédients tels l’hibiscus ou l’ananas.
« Fabriquer entre 50 et 70 litres de jus par semaine, en tamisant tout à la main, c’est quelque chose ! Quand je suis fatiguée, je me demande parfois pourquoi je fais ça. Mais lorsque je vois la réaction, les émotions des gens pendant les dégustations, je suis remplie de fierté. » Elle aime aussi le contact avec sa clientèle qu’elle rencontre régulièrement.
Entre la production, les ventes, les cours en ligne et son rôle d’enseignante de science et technologie au secondaire, l’équilibre reste fragile. Elle songe d’ailleurs à embaucher un coach pour l’aider à prioriser ses efforts et éviter l’essoufflement. « Disons que je ne compte pas mes heures », affirme l’entrepreneure qui fait tout en solo. Tout ou presque. « Heureusement, mon mari est très présent et me soutient énormément. Je ne pense pas que j’aurais pu me rendre aussi loin sans son appui », lance-t-elle, reconnaissante. Elle peut aussi compter sur l’aide de son fils, âgé de 21 ans, de sa famille et de ses amis, un coup de pouce précieux et essentiel.
Le dimanche, en revanche, pas question de toucher à l’entreprise. « C’est sacré ! On va à l’église en famille, puis on prend le temps de bruncher ensemble, au restaurant ou à la maison. » Elle entretient également des liens très forts avec deux groupes d’amies africaines. « On s’écrit régulièrement et on se voit souvent. Ça me permet de rester connectée à ma communauté. » Des relations qui la nourrissent et l’aident à conserver son énergie.
Une entreprise à son image
Bien plus qu’une entreprise commerciale, sa compagnie lui permet également de vivre selon ses valeurs, soit la santé, la tradition, le respect de l’environnement et le partage. Un exemple? Si ses ingrédients viennent souvent de loin, l’entrepreneure a décidé d’intégrer des produits locaux à ses jus. Ainsi sont apparues des variétés comme fraises, bleuets ou framboises. « Je tente aussi d’utiliser complètement ce que j’importe pour limiter au maximum le gaspillage », poursuit-elle. C’est pourquoi les résidus de gingembre et les fleurs d’hibiscus sont séchés, moulus et vendus sous forme de poudre. « Cela permet d’ajouter des fibres et c’est parfait dans une vinaigrette ou un smoothie. » Tisanes et sirops complètent la gamme de produits des Jus naturels Ben’s.
Aux jeunes femmes qui rêvent de se lancer à leur tour, elle offre ce conseil: « Écoutez votre passion. C’est elle qui va vous porter quand ce sera difficile. » Croire en soi, même quand les autres doutent, et bâtir pas à pas une organisation alignée à ses valeurs — voilà, sans doute, une définition intéressante de l’équilibre. « Avoir créé une entreprise qui me ressemble me rend non seulement fière, mais me procure un grand sentiment d’accomplissement. » Un modèle et une inspiration!